30/09/2023 – Le désir
Le désir
Nous étions 12 ce samedi 30 septembre à participer au café philo de la rentrée avec de nouveaux arrivants. Nous avons commencé par nous présenter avant de rappeler rapidement les règles de fonctionnement du café philo.
Le café philo vise à échanger nos idées sur un thème choisi à l’avance par le groupe afin de conforter ou remettre en cause nos convictions. Cet échange se fait sur la base de l’égalité entre tous les participants, l’animateur ayant un double rôle de régulateur et de formuler les enjeux philosophiques du débat mais il ne possède en aucun cas la vérité. Si les désaccords sont normaux et féconds parce qu’ils révèlent des problèmes dans l’appréhension et la compréhension des problèmes, ils doivent être formulés et accueillis avec bienveillance, les propos de chacun doivent être respectés en ce qu’ils sont une tentative d’apporter une réponse aux problèmes posés. Aucune attaque personnelle n’est tolérée.
Le bénéfice que tous peuvent tirer de cet échange est un éclaircissement des enjeux et une ouverture vers la complexité des problèmes soulevés, source d’un enrichissement intellectuel. L’argumentation de chacun vise à reposer sur la raison, même si évidemment les affects sont présents dans toute discussion entre humains.
Le thème du jour était le désir, la question posée étant de savoir si « le désir ne faisait que rendre les hommes malheureux ». Nous avons commencé par voir une petite vidéo qui abordait la question du désir sous un large spectre. Tour à tour la place du désir dans nos existences, ses manifestations multiples et sa caractérisation ont été abordées.
Le désir est-il une expression du manque (je désire ce que je n’ai pas) ou bien d’un excès (le désir est une force productive en l’homme) est la première question qui a été abordée. L’opposition entre ceux qui voient dans le désir le révélateur d’une insatisfaction continuelle de l’homme et ceux qui y voient ce qui fait la singularité humaine, la capacité à se dépasser pour aller toujours plus loin est marquée. Si l’homme désire ce qui lui manque, la satisfaction par l’obtention de l’objet du désir ne peut conduire qu’à une déception rapide, l’objet acquis ayant perdu les attraits qu’il avait lorsqu’il semblait inaccessible (Dom Juan, le progrès scientifique, l’enfant attendant un jouet, etc.). Le désir conduit inévitablement l’homme à la déception relançant par-là la course à l’obtention d’un nouvel objet qui lui-même décevra etc. Cette course sans fin est celle de nos sociétés de consommation, décriée par de nombreux contemporains.
Mais on peut aussi considérer le désir comme une source de joie parce qu’elle enrichit nos existences de nouveaux biens qui nous rendent meilleurs et nous font mieux apprécier nos existences. C’est le sens de la réflexion de Spinoza pour qui le désir est « l’essence de l’homme », c’est-à-dire cette faculté en nous de discerner ce qui est bon pour nous et de le choisir. Le désir rendant désirable les objets sur lesquels il se porte (êtres humains, manifestations artistiques, objets matériels) et nous donnant plus de raisons de vivre
(« persévérer dans l’être »). L’absence de désir rendant la vie sans objet, inutile, c’est le sens de l’expérience des gens qui se laissent mourir parce qu’ils ont « perdu le goût de vivre ».
Encore faut-il savoir si tous les objets sont désirables, l’infinitude du désir conduit certains à vouloir classer les désirs entre les désirs souhaitables et ceux qu’il faut bannir. Epicure sépare les désirs vains et les « vrais ». Pour lui seuls les désirs « naturels et nécessaires » doivent être poursuivis. La distinction entre artifice et nature est ici présente. Mais est-il si facile de séparer l’artificiel du naturel, le besoin du superflu ? La vidéo nous montre les multiples aspects du désir, ses objets innombrables rendant bien délicat de séparer l’artificiel du naturel. Le désir prend tant de formes qu’il est bien difficile de procéder à un classement objectif. C’est la société qui va introduire des bornes à la satisfaction de nos désirs car le désir est sans limite.
Une remarque en passant, le désir n’est pas nécessairement lié au plaisir (à ne pas confondre avec la joie qui est accroissement du sentiment vital selon Spinoza) puisque l’accomplissement du désir peut passer par la souffrance (entraînement du sportif, du danseur, du musicien, etc.).
La vidéo a donné lieu à un échange très intéressant, chacun se retrouvant dans certaines positions avancées, d’autres prolongeant les réflexions à peine ébauchées dans l’émission. Il y a eu ainsi une prise de conscience de l’importance du désir dans nos vies et de ses multiples répercussions. Notre société valorise l’émergence de désirs en les orientant vers les objets matériels et les manifestations sportives. Elle s’en sert ainsi pour favoriser le développement économique et pour orienter nos intérêts vers des objets qui la renforcent, il est regrettable que chacun d’entre nous ne puisse prendre conscience de ses propres désirs mais peut-être que ce ne sont que des constructions sociales ? L’exemple des sociétés différentes vivant sur un autre mode de vie montre que les désirs des hommes dépendent de leur environnement. Et René Girard a montré que le désir qu’il appelle « mimétique » est le produit de notre socialisation, je désire ceci parce que mon voisin le désire, la publicité nous a révélé ce mécanisme, je désire tel objet parce qu’une célébrité (donc un être sur qui se porte le désir d’autrui) le désire.
En conclusion une discussion fort intéressante et riche. Nous nous retrouverons le samedi 21 octobre pour parler de la vérité.
NB : quelques références :
Apologie de Socrate, Platon
Lettre à Ménécée, Epicure
Mensonge romantique et vérité romanesque, René Girard