De bon matin, nous sommes cinquante quatre en route pour les lacs italiens : Le rêve se précise. Pourtant, sans préambule, notre chauffeur Roger, aux accents marseillais
plonge notre équipée dans un réalisme détonateur qu’il conservera tout au long du voyage. Si bien que les enfants avancés que nous sommes feront bon usage de ses conseils imagés.
Sur le parcours les quelques 100 tunnels témoins du génie constructeur italien nous plongeant par intermittence dans la pénombre nous feront d’autant plus apprécier la lumière ocrée entrevue à Sirmione (lac de garde) et la palette de couleurs qui va nous enchanter à chaque instant tout le long du séjour.
Sous un ciel bleu s’annoncent les lacs de Garde, Come, Majeur et Orta, autant de noms et bien d’autres chantés par nos guides italiens, pour nous mener au cœur de la passionnante et déroutante histoire de ce pays, qui deviendra progressivement l’Italie à partir de 1861.
A travers ce labyrinthe du passé, se présentent Guelfes (partisans du pape), Gibelins (partisans de l’empereur), évoqués à Sirmione, et les créneaux en queue d’aronde du château pour distinguer ces derniers de leurs rivaux, puis un passage du coté de la via Gallica Romaine, nous plonge d’entrée dans cet univers complexe.
Le St Empire romain germanique est déjà là, avec Frédéric Barberousse. Plus tard l’Espagne sera présente de 1535 à 1713, relayée par l’Autriche, sans oublier Napoléon 1° et quelques visées non désintéressées de Napoléon 3, tout cela dans un contexte de villes parfois autonomes, puis rattachées comme Sirmione à Venise (lion de St Marc), et bien entendu la présence de seigneuries et familles puissantes : Rocca-Scaligera (lac de garde), Borromées (lac majeur), Visconti-Sforza (Milan)…
On l’a compris, l’histoire est indissociable de tout ce que réalisèrent les hommes qui l’on façonnée. Cette histoire, et les hommes qui l’ont conduite, au lieu de bousculer la nature,ont au contraire favorisé son ordonnancement : cet écrin naturel temple de la beauté et de la perfection dont la Licorne des jardins Borromées est le symbole. Le paysage est là, se prêtant aux belles réalisations humaines : fallait-il encore qu’un génie créatif et rassembleur à l’image de ces bâtisseurs maçons réputés et sollicités dans toute l’Europe, et qu’un désir de perfection, souvent fruit de rivalités stimulantes, se mettent en place.
Au cœur de ce chef d’œuvre, association de la nature et de la main humaine, l’œil ne se lasse pas. Allant de la courbe d’une colline naissant du lac et ponctuée de cyprès vers de jolies chapelles romanes ou baroques accrochées aux premiers versants de la montagne ou bien nichées derrière des ruelles étroites, pentues, aux couleurs pastel et contrastées.
L’espace se dégage laissant place à de belles villas patriciennes aux frontons et travées rythmiques, classicisme revisité que leur écrin fleuri de rhododendrons, azalées et autres merveilles rehausse d’un gout raffiné.
Que dire des somptueux jardins en perspective ou en terrasses des villas Carlotta, Tarento et Borromées, d’une statuaire toujours en harmonie, point d’orgue de beaux arbres dont elle semble être la compagne.
Que dire des bambous, des cascades, du marbre don de la région, des grottes étranges, des agrumes en tonnelle, des paons albinos en majesté. Invités de cet Eden, on se laisse porter de l’un à l’autre.
Tout est harmonie : un jour sous une tonnelle ombragée au « belvédère » surplombant le lac de Come-Lecco le temps s’est arrêté sur la beauté. Ce ne sera pas la dernière fois, sensation profonde de participer de cette quiétude.
Plus loin à Orta le calme et la sérénité nous devancent : les sœurs Bénédictine dans San Giulio par de simples enseignes nous y invitent.
On peut aussi s’interroger sur la prêtrise à laquelle étaient destinés les fils cadet et benjamin de la famille Borromées, que l’on voit enfants poser sur un tableau en habit rouge de futur prélat. Le futur St Charles se montrera fidèle à la cause des déshérités, preuve attestée par la présence de la devise « d’humilité » au château Borromées, mais qui n’a rien à voir avec le lustre et le luxe de cette belle demeure.
Comme partout, il fallait bien une bizarrerie, repérée maintes fois aux clochers des églises, affublés de curieuses roues sensées entrainer à des fins harmoniques les cloches les unes après les autres. Rien n’est parfait.
La basilique St Jacques n’y échappe pas : ce bel et sobre exemple des premières églises chrétiennes destinées à une circulation plus aisée des fidèles, répliques des basiliques romaines, bâtiments à multiples usages : marché, banque, bourse, tribunal, lieu de rencontre…
Quelque peu anachronique en ces lieux, Pinocchio de son grand nez fureteur, le regard ébahi, interpelle le chaland « moi aussi je suis né d’un rêve, là-bas au fond d’une vallée du lac Majeur ».
Là s’achèvera le rêve. Milan entrainant chacun dans un univers bruissant, complexe, animé, contrasté : forteresse puissante de la famille Sforza, dentelle du Duomo, avant-gardisme d’une sculpture dédiée à la mode, ainsi que la Galleria. Le cimetière monumental, temple de la renommée et de l’histoire, Garibaldi en bonne place, une Scala cachant son jeu derrière une modeste façade classique, et le souvenir de grands noms : Toscanini, Donizetti, Puccini, Verdi, Liszt, Catulle, Stendhal…
Brigitte PERRIER