2015-12-08 « La Chine de Marco Polo » conférence par Andrée Desmoulins
Des évènements, des personnages, des sciences nouvelles bouleversent notre quotidien, entraînent un changement dans notre civilisation, soit l’ensemble des idées partagées qui sont notre mode de vie, ses valeurs et nos habitudes. Découvertes et rencontres favorisent ces bouleversements, comme l’apparition de mythes forgeant la langue et son écriture, la religion et ses rituels (Lascaut-Egypte-Mésopotamie) et la circulation obligée des produits et des idées dans le monde habité. La période 1.200/1.500, fondatrice de notre monde actuel, illustre ce désenclavement et Marco Polo est l’un de ses agents.
Il y eut Jules César et la culture gréco-romaine, la vision du monde par les sages de l’Orient et celle expliquée par la Bible, le poids du discours religieux écartant celui des scientifiques.
Marco Polo, emmené par son père et son oncle dans l’empire du Milieu en 1271 provoque l’irruption d’un nouveau monde en Occident. La Chine alors si inconnue jusque-là, brutalement présentée dans le ‘’Devisement du monde’’ devient l’objet de tous les désirs et Marco Polo le plus célèbre voyageur du Monde au Moyen-Age. Il n’est pas un savant, mais simplement un fils de marchand vénitien.
Venise, belle et puissante, riche et indépendante, voit ses marins s’installer : quartier dans les villes et îles, comptoirs dans toute la Méditerranée avec circulation dans la mer Noire, porte de l’Asie. Les Polo sont l’un de ces marchands, ils ont quai à Constantinople et à Soldaïa en Crimée, là où s’ouvre un passage à la route des caravanes, celle qui mène en Chine.
La route des caravanes est celle de la soie et aussi celle du dialogue (Unesco). Son histoire est longue, fixée au temps de ‘’l’empereur Wudi ‘’ dynastie des Han, avec ses itinéraires reconnus, installés, soit étapes fixes, relais confortables, centres d’échanges garantis, sécurité recherchée, fresques les illustrant et statues ou écrits la faisant entrer dans l’histoire du monde. ‘’Sur elle, circulent nombre de pèlerins et de marchands latins’’ écrit Marco Polo dans le Livre des Merveilles.
Des religieux l’empruntent et offrent à l’empire du Milieu de nouvelles croyances. A la voie du Tao, aux textes de Confucius, le bouddhisme venu d’Inde par la passe de Gilgit propose une autre démarche spirituelle encouragée par le souverain dès le 2ème siècle.
En Chine, un syncrétisme particulier englobe ces trois enseignements et Polo constate qu’il rencontre sur sa route des commerçants de diverses confessions : bouddhistes, juifs, chrétiens nestoriens et musulmans. Ceux-ci vainqueurs à Talas (Kirghizistan-751) laissent la propagation de leur confession aux marchands. Dès 742, des mosquées à l’architecture variée sont dans toutes les villes et le Coran partout diffusé (fabrication du papier connue).
Les Polo, vénitiens depuis 1033 ont des comptoirs prospères et les deux frères partent en Crimée où ils tiennent boutique et vendent des bijoux. De là, le Don franchi, puis la Volga, ils se présentent à Barka, Khan mongol gouverneur à Saray. Puis, ils traversent les déserts, s’arrêtent à Boukhara et encouragés par des envoyés du grand khan de Chine Koubelaï, ils partent et les voilà à Cambaluc, ‘’Pékin’’, reçus par l’empereur, petit-fils du grand Gengis Khan.
Ce mongol, Gengis Khan, a établi un empire à partir de sa tribu dans les steppes mongoles grâce à son intelligence et son armée. Avec des cavaliers infatigables, des archers habiles et des chevaux résistants, ce chef donne une langue, une écriture, un code de lois donc une identité mongole à son peuple. L’immense empire allant de la Corée aux portes de Vienne, divisé en khanats gouvernés par ses fils, est construit en 30 années. Son petit-fils, empereur de Chine fondateur de la dynastie Yang reçoit et interroge les Polo, puis leur demande de revenir une autre fois avec des textes sacrés, 200 érudits et de l’huile sainte du Saint Sépulcre.
En Occident, l’élan des croisades a faibli, l’armée mongole est près de Damas et Saint Louis croisé pense à une alliance possible. Des missionnaires sont enfin envoyés par le pape non pour connaître la force et l’identité réelle de cet empire, mais pour offrir pardon possible contre conversion. De ces moines envoyés, on lira avec plaisir le récit de leur trajet, de leur ambassade, de leur étonnement, de leur échec. (Jean du Plan Carpin, André de Longjumeau et Guillaume de Rubruk). La présence des Nestoriens les interpelle ainsi que la légende du prêtre Jean présent et introuvable à la fois.
1271 : les Polo repartent en Chine avec Marco, 16 ans, bénis par le légat du Pape à Acre.
4 années pour parcourir la route de l’Asie Centrale, exclusivement par terre. Ils passent au sud du Taklamaka, dépassent Dunhuang et arrivent à Cambaluc en 1275. Le grand Khan les reçoit avec honneur, les interroge beaucoup et prête attention à Marco. On dit qu’il apprend ‘’les langues de cette nation, se fait aimer de tous et en particulier de l’empereur’’. Ni conseiller, ni ambassadeur, mais toujours chargé de mission dans plusieurs régions de l’empire, mais aussi en dehors, au Tibet, en Birmanie, à Java. Nommé seigneur ici, inspecteur là, messire ailleurs, enquêteur privé, il donne chaque fois grande satisfaction à l’empereur et les archives chinoises de 1277 confirme son statut. Il observe ce pays qu’il parcourt pendant 16 ans. Il s’intéresse à tout, prend des notes, recueille des légendes, s’étonne devant l’inconnu comme le papier-monnaie, le pétrole, la boussole sans porter de jugement. L’on trouve son récit vivant et riche de découvertes d’où son succès immédiat. Ce temps d’empire est prospère, poésie, porcelaine, dessin en belle liberté.
Mais un très grand désir de revoir leur contrée était toujours dans leur cœur alors que leur départ n’était pas accordé. Une mission maritime difficile se présente et Marco est désigné : les Polo rentrent à Venise après 24 années d’absence.
Ils se font avec des cadeaux reconnaître dans leur ville et reprennent leurs habitudes. Marco a 41 ans, se marie et a deux filles dans sa demeure du quartier Polo. Fait prisonnier lors d’une guerre avec Gênes, il raconte à son compagnon de cellule, un écrivain en français, toutes ses aventures vécues. Le livre, publié en plusieurs éditions connaît un grand succès : La Chine apparaît à l’Occident ce qu’il faut connaître, l’endroit il faut aller et commercer.
Ce 13ème siècle est celui des avancées médiévales, de l’homme qui se veut libre, capable de raison, désireux d’informations sur ce monde inconnu qui leur est présenté. La première mondialisation va commencer et Christophe Colomb inventer l’Amérique, avec le livre de Marco Polo à son chevet sur sa caravelle.