ROCHECHINARD

Le nom de Rochechinard apparaît pour la première fois dans le cartulaire de l’abbaye de Léoncel en 1174. Les lieux appartenaient alors à un membre de la famille des seigneurs du Royans:Guidelin descendant d’Ismidon, « prince ».

Arnaud Guélin, son petit-fils, seigneur de Rochechinard et Beauregard, vend sa terre en viager au Dauphin Guigues VII en 1250. Mauvaise affaire car en 1275 Arnaud vit toujours… Vers 1024 et jusqu’en 1318 la terre de Rochechinard est annexée au mandement de Saint-Nazaire. En ce début de XIVème siècle le dauphin Jean II donne la seigneurie de Rochechinard à Girin Curtet, écuyer de son frère pour ses bons et loyaux services. Ce dernier cède ses droits sur le château en 1340 à Aymar Ier Allemand de Beauvoir. S’appuyant sur une carrière exemplaire de châtelain delphinal  Aymar Allemand sut élever sa famille du rang de simple chevalier à celui de seigneur haut justicier. C’est à elle que l’on doit la plupart des aménagements du château et la venue d’un prince ottoman. Les Allemand de Rochechinard font partis d’une des familles dauphinoise les plus prolifiques. En 1455 les différentes branches de la famille se réunissent pour prêter un serment d’entraide mutuelle, ils sont alors 26 seigneurs et ecclésiastiques à porter le nom d’Allemand, réunis par Siboud Allemand de Séchilienne, évêque de Grenoble. Parmi les représentants de la branche de Rochechinard, deux frères eurent dans la seconde moitié du XVe siècle une destinée peu commune : Charles (v1435 – 1512), chevalier de l’ordre de Saint Jean de Jérusalem, grand prieur de Provence et Antoine (v1435 – 1493), évêque de Cahors (Lot).

Les Allemand de Rochechinard perdent leur puissance à la fin du XVe siècle, avec plusieurs successions difficiles, dont celle de Barachin mort au siège de Novare (Italie) en 1495. La famille Allemand garde Rochechinard jusqu’en 1547, date à laquelle Gabriel Allemand, seigneur d’Éclose et Demptézieu vend sa terre à Claude Mosnier, maître de la Monnaie à Romans. Cette famille de roturiers, originaire de Lyon, sera anoblie par cet achat de terre noble et porteront désormais le nom de « Mosnier de Rochechinard ».

Pendant les guerres de religions la famille reste fidèle au roi et à la religion catholique en assurant le maintien d’une garnison au château de 1572 à 1590. Cette dernière passera de 4 à 40 hommes, non sans difficultés financières. Claude Mosnier et ses fils mènent une guerre d’escarmouches depuis leur nid d’aigle. En 1586 l’ennemi tente de prendre le château par surprise en faisant exploser de nuit un « pétard » contre la porte d’entrée, mais l’assaut est repoussé. Pour son zèle Roman Mosnier fut en 1588 nommé consul de Romans. A partir du XVIIe siècle la famille Mosnier réside moins à Rochechinard. L’histoire bégaie et la famille Mosnier va disparaître avec des problèmes de succession. Car en 1690 Alphonse Mosnier, seigneur de Rochechinard, capitaine du régiment de Villepion meurt au siège d’Huningue ne laissant aucun héritier direct. Puis c’est la fin du système féodal et la naissance d’une commune.

Début du XVIII, la commune compte à peine plus de 300 habitants. Puis après le boom démographique du XIXe, la commune fait face à l’exode, elle compte aujourd’hui 118 habitants et se tourne tout naturellement en plus de ces activités rurales, vers le tourisme. La création d’un musée, de gites et des activités culturelles et sportives permettent à la commune de Rochechinard d’aborder plus sereinement le XXI siècle.

Le château

Situé sur les contreforts ouest du massif du Vercors, le château de Rochechinard occupe une étroite et abrupte plate-forme rocheuse à 600 m d’altitude.

Le site fut probablement occupé dès le XIIe siècle par une rocca possédée par la famille des seigneurs du Royans. Durant cette période, le château n’est probablement qu’une modeste rocca, caractérisée par la présence d’une tour, d’une aula, d’une chapelle castrale dédiée à saint George et d’un bâtiment annexe matérialisé par une grande case-encoche. Ces bâtiments occupent la partie terminale de l’éperon, protégée par un profond fossé taillé dans la roche et par un mur de plus de 2 mètres d’épaisseur.

Vers 1480-1490, une vaste campagne de travaux est engagée par la famille Allemand, transfigurant le site.   Elle voit l’érection quasi simultanée d’au moins trois bâtiments : une tour à canon ouverte à la gorge et flanquée d’une barbacane souricière, une tour circulaire percée de canonnières et de baies à coussièges, et un vaste logis.

Cette uniformité se manifeste par l’usage d’un décor de pierres à bossages pour les chaînes d’angles et les piédroits des baies. Érigé hors de tout contexte militaire, ce « nouveau » château est avant tout l’emblème d’un lignage, celui des Allemand, qui y multiplie les marques identitaires  (écus en chanfrein, motif de bâton écoté). Le secteur défensif multiplie les obstacles. La tour à canon constitue le premier : assise à même le rocher, avec des murs de 3 mètres, elle n’offre que des angles saillants à un éventuel tir adverse.

Ses onze canonnières à double ébrasement assurent une défense en tir rasant ou plongeant. Le flanquement rapproché est assuré par une échauguette et une plate-forme sommitale crénelée.

En contrebas, le secteur d’entrée est défendu par une porte de chêne, un pont-levis, une canonnière et une échauguette.

Passée cette petite barbacane, une seconde porte donne accès à une cour en forte pente franchissable grâce à un dispositif mobile. La tour centrale, appelée « donjon » au XVIIe siècle, complète la défense par huit canonnières, orientées vers la cour, la barbacane ou l’intérieur de la tour à canon. Ce « donjon » sert d’interface entre secteurs de défense et de résidence. Il est construit sur le point le plus bas du site, dans l’ancien fossé, mais s’élève à plus de 17 mètres avec ses cinq niveaux. Son sous-sol est occupé par une vaste citerne, et un bâtiment annexe accolé abrite le four à pain.

Le corps de logis encore en élévation au nord ne représente sans doute qu’un quart des constructions qui utilisaient les structures antérieures. On notera le confort de ce secteur, avec une cuisine au rez-de-chaussée, des latrines pour chaque étage, et des cheminées dans chaque pièce.

1: La tour à canons

La tour à canons ou tour polygonale a des murs épais de 2,80 mètres percés de bouches à feu sur plusieurs niveaux et à différents angles. Elle est entièrement ouverte vers l’intérieur pour ne pas servir de position d’attaque si elle était prise. Son état de conservation est plutôt correct.

 2 : La barbacane

On désignait pendant le Moyen âge, par ce mot, un ouvrage de fortification avancé qui protégeait un passage, une porte ou poterne, et qui permettait à la garnison d’une forteresse de se réunir sur un point saillant à couvert, pour faire des sorties, pour protéger une retraite ou l’introduction d’un corps de secours. La forme la plus ordinaire donnée aux barbacanes était la forme circulaire ou demi-circulaire, avec une ou plusieurs issues masquées par la courbe de l’ouvrage.
Les armées qui campaient avaient le soin d’élever devant les entrées des camps de vastes barbacanes, qui permettaient aux troupes de combiner leurs mouvements d’attaque, de retraite ou de défense.
Au moment d’un siège, en dehors des murs des forteresses, on élevait souvent des barbacanes, qui n’étaient que des ouvrages temporaires, et dans lesquels on logeait un surcroît de garnison.
Mais, le plus souvent, les barbacanes étaient des ouvrages à demeure autour des forteresses bien munies.

3 : L’entrée et les remparts

Après le passage par la seconde porte, un pont levis fermait l’entrée au donjon. Entre les deux tours, le rocher est taillé avec une forte pente et n’offre aucun abri. L’accès à la tour à canon se fait du premier étage du donjon par les remparts.

4 : Le donjon

Il peut encore être sauvé en commençant rapidement des travaux de restauration.

5 : Le logis

Il ne reste aujourd’hui que 3 murs d’un ensemble qui devait être plus grand encore.

Aux XVIe et XVIIe siècles, Les Mosnier réalisent les dernières transformations du site, avec la construction d’une galerie à l’italienne et plusieurs réaménagements internes. Les derniers travaux ont lieu en 1699 avec la réfection générale des toitures. Mais le site est totalement délaissé au début du XVIIIe siècle et en 1764 il est déjà inoccupé et en ruine. Au XIXème siècle le château, rendu aux éléments souleva l’enthousiasme des peintres et poètes romantiques (E Thuillier, D Rahoult, A Debelle, V Arnaud, A Souchier…). Comme beaucoup de châteaux il sert au XIXe siècle de carrière de pierre et l’on retrouve de nombreux réemplois dans les maisons de la commune.

La « légende » de Djem.

L’histoire pourrait commencer par « il était une fois un prince oriental amoureux d’une belle dauphinoise », tellement elle fut embellie. Mais cela est bel et bien un fait historique qui prit place à la fin du Moyen Age dans le Royans et eut en particulier pour cadre le château de Rochechinard. Djem (dit Zizim), fils du sultan Mehmet II, battu par son frère Bayezid (Bajazet II) dans la lutte pour le trône de Constantinople, vint en 1482 demander l’aide des chevaliers Hospitaliers à Rhodes. Il voulait s’assurer de leur aide pour l’aider à gagner les Balkans où il avait des partisans. Le grand maître confie alors le prince à la garde de trois chevaliers, dont Charles Allemand de Rochechinard, alors commandeur du Poët-Laval. Leur mission est d’escorter Djem en France, sous le prétexte (entre autres) de lui faire rencontrer le Roi. Le but est en réalité de le retenir prisonnier et de l’utiliser comme otage pour se prémunir des attaques de Bayezid sur Rhodes. Débarqué à Villefranche-sur-Mer Djem est d’abord conduit dans la commanderie savoyarde des Échelles, via l’Italie. Puis les chevaliers le font embarquer sur l’Isère à Saint Quentin, de manière à gagner la vallée du Rhône et de là, la commanderie du Poët-Laval. A la fin de l’été 1483, alors que la mort du roi Louis XI parvient à Charles Allemand de Rochechinard, les chevaliers tombent le masque et désarment l’escorte du prince. En plein hiver 1483-1484, le commandeur du Poët-Laval amène Djem « dans un fort sur un rocher nommé Rosinul » (Rochechinard dans une chronique Turque). Dans la forteresse sans doute juste rénovée de la famille Allemand le prince demeurera quelques mois, mais on connaît par des descriptions du XVIIème siècle la mention d’une « salle du Turc ». Au printemps 1484 le prince est logé dans le château de la Bâtie en Royans. Ce dernier aujourd’hui disparu était situé sur l’actuelle commune de Saint Laurent en Royans. Il était la possession de la famille de Sassenage, traditionnel allié de la famille Allemand « Le châtelain du lieu avait une aimable fille sans pareille. Entre celle-ci et Djem naquit un amour réciproque ». Voici comment en une ligne la chronique turque des Vaki- at i sultan Cem résume l’idylle de « Zizim » et de Philippe-Hélène de Sassenage. Après quatre ou cinq mois de séjour dans le Royans, le prince fut amené à Bourganeuf (Creuse) où il demeurât jusqu’en 1488, date à laquelle il fut confié au Pape à Rome. En 1495 Charles VIII allant conquérir le Royaume de Naples demanda à Alexandre VI Borgia la garde du précieux otage. Djem mourut avant d’arriver à Naples dans des circonstances troublantes (poison?). Et celle qui portait en hommage à sa beauté, le surnom d’Hélène ne revit jamais son prince « des mille et une nuits ».

 

L’EGLISE ST GEORGE DE ROCHECHINARD

Elle se trouve en contrebas du château médiéval. Mentionnée dès le 14e, elle relève du diocèse de Valence. A quelques mètres se trouve le presbytère des 17 et 18e siècles, abritant aujourd’hui le musée du Royans. Remaniée à l’époque moderne et restaurée récemment, c’est un édifice simple aux formes trapues. Il est composé d’une nef unique flanquée au nord et au sud de 2 chapelles de plan quadrangulaire. L’intérieur est éclairé par de rares fenêtres en plein cintre perçant les murs latéraux. A l’est, l’abside est semi-circulaire. La façade percée d’un portail en plein cintre, est composée de piedroits agrémentés de colonnettes sur consoles et d’un tympan lisse sur lequel a été placée une croix. Le mur est flanqué de part et d’autre de contreforts d’angle. Au nord, un clocher-tour de style alpin s’appuie contre la nef. Construit en moyen appareil plus ou moins régulier, le 1er niveau supporte un étage dans lequel sont installées les cloches. Celui-ci, souligné par un bandeau plat, est percé d’ouvertures en plein cintre sur chacune de ses faces. La toiture formée de 4 pans est en pierre de taille.

La cloche de l’église Saint- Georges vient de faire son retour à Rochechinard ! Présentant de nombreuses défectuosités dues au temps (elle daterait de 1776… tout s’explique !), et pour répondre au souhait d’un habitant, Gérard Fontbonne, qui souhaitait qu’elle soit électrifiée, un relooking, voire plus s’imposait. Après avoir fait un séjour aux Etablissements Bodet, des spécialistes, la cloche vient de faire son retour et tout prochainement devrait retrouver sa place dans l’église Saint-Georges pour le grand plaisir des Sinarupiennes et Sinarupiens (habitants de Rochechinard). Elle a été remise en place sur son toit le 27 septembre 2019.

L’HISTORIQUE DU VILLAGE DE SAINT-NAZAIRE EN ROYANS

Le site de St Nazaire a été peuplé dès la  préhistoire. Il y a environ 15 000 ans, à l’époque magdalénienne, l’homme de Cro-Magnon a habité la grotte de Tai (ou Thaïs), comme l’attestent les nombreux objets trouvés sur place : harpons, grattoirs, os gravés etc… Pendant la période gallo-romaine, il semble qu’un oppidum romain existait au lieu-dit « Quatre Têtes » qui domine le confluent de la Bourne et de l’Isère et qui est peut-être l’emplacement de la ville de Ventia. En 61 av JCH la tribu gauloise des allobroges qui occupait ce territoire entre en guerre contre les Romains de Marius Lentinus. Une grande bataille eut lieu ; les romains triomphèrent et occupèrent toute la région.

Au début du 13ème siècle, Flotte de Royans, fille du seigneur de St Nazaire Osasicca épouse Guillaume de Poitier, comte de Valentinois. St Nazaire était alors une vile puissamment fortifiée ; de formidables remparts descendaient du château seigneurial qui dominait la cité jusqu’au pont sur la Bourne.

En 1227, le dauphin Guignes VI prétendait être le souverain de Poitiers et déclare la guerre a Flotte et à son fils Cymar qui mène combat. Le conflit, au cours duquel St Nazaire fut ravagé par un gigantesque incendie, dura de nombreuses années. La victoire changea plusieurs fois de camps. Finalement, la paix fut signée en 1250 et le Dauphin fut reconnu suzerain des Poitiers.

Pendant les guerres de religions, la région fut le théâtre de nombreux combats entre catholiques et protestants commandés, pendant les premières années par le baron des Adrets de sinistre mémoire St Nazaire fut, à plusieurs reprises, occupé et pillé par les armées ennemies. En 1565, les huguenots incendièrent l’église. Après accord entre les 2 partis, les fortifications de la ville furent démolies en 1592. Aux malheurs de la guerre s’ajouta la tragique épidémie de peste de 1586 qui décima la population.

Au cours de la guerre de 14-18, 23 Nazairois donnèrent leur vie au service de la patrie.

Pendant la 2ème guerre mondiale, St Nazaire, bastion avancé des maquis du Vercors, fut bombardé par l’aviation allemande le 29 juin 1944. Deux personnes furent tuées et de nombreuses maisons détruites. Du 20 juillet au 5 août 1944 l’armée allemande occupa le village. Dans le parc du château Laurent, siège du commandement, 33 patriotes forent exécutés. A cet emplacement, un mémorial a été édifié en 2001, pour perpétuer le souvenir de leur sacrifice. A leur départ, les Allemands pillèrent et incendièrent le château.

Enfin, la construction de l’aqueduc du canal de la Bourne de 1876 à 1879, la mise en eau du barrage sur Isère en 1958 ont donné à St Nazaire son aspect actuel.

AU FIL DE L’EAU……………AU FIL DU TEMPS

Paris a sa Tour Eiffel, New-York sa statue de la Liberté, Le Caire ses Pyramides; Saint Nazaire plus modestement a son aqueduc. Il est son étendard, son emblème, on dirait aujourd’hui son logo et les Nazairois en sont fiers. Il est connu dans la France entière et même à l’étranger, car imposante silhouette si caractéristique. Pour le jeune Nazairois d’autrefois, sa présence obsédante au-dessus de sa tête était comme un défi permanent.

C’était son Everest à lui qu’il se devait de gravir un jour. Ses aînés lui racontaient cette traversée héroïque, d’autant plus attirante qu’elle était interdite, et leur récit devenait, à ses yeux, une véritable épopée. Il rêvait de les imiter et d’entreprendre à son tour « le Grand Passage ».

Enfin, arrivait le jour tant attendu où, en compagnie de 2 ou 3 camarades de son âge et souvent d’un « ancien », il se lançait dans la grande aventure. Devant lui se présentait, à la fois tentateur et effrayant, l’étroit trottoir aux pierres inégales, avec, d’un côté, le canal roulant ses flots impétueux et de l’autre, le précipice. Pour seule protection, plus symbolique que réelle, une barrière branlante aux minces barreaux espacés. Nos jeunes garçons s’aventuraient d’un pas hésitant sur la chaussée cahoteuse, le cœur battant, les yeux fixés droit devant eux, agrippés à la main courante, partagés entre l’exaltation et la crainte. Puis, s’enhardissant peu à peu, ils avançaient d’un pas plus assuré et ils pouvaient, furtivement, porter leur regard vers le lointain.

Lorsqu’ils arrivaient au « point sublime » où l’aqueduc domine la rivière, où le précipice atteint sa plus grande hauteur, l’émotion s’élevait à son paroxysme. Certains évitaient de regarder le gouffre à leurs pieds; les plus hardis avec un délicieux frisson, laissaient leur regard plonger dans l’abîme. C’était pour tous, un moment inoubliable où chacun de nos aventuriers, par sa victoire sur l’aqueduc, en avait en quelque sorte pris possession; il était devenu « son » aqueduc. La fin du parcours n’était plus qu’un long bonheur, une profonde jubilation, où se mêlaient soulagement et fierté d’avoir surmonté cette épreuve initiatique. Aujourd’hui notre « aqueduc » a été magnifiquement aménagé. La couverture du canal, la pose d’une superbe barrière ultra moderne permettent aux visiteurs, qu’un ascenseur amène à pied d’œuvre, de parcourir cet ouvrage en toute sécurité et d’admirer le paysage grandiose qui s’offre à leur regard.

Mais, le vieux Nazairois, à travers ces splendides aménagements, gardera toujours gravée au fond de sa mémoire, avec la douce nostalgie qui s’attache aux choses du passé, l’image d’une fragile barrière branlante, d’un long trottoir bosselé, l’image de « son » aqueduc désert, où, avec un pincement au cœur, il s’aventurait par un jour radieux de sa lointaine jeunesse.

HISTOIRE DU CANAL DE LA BOURNE ET DE LA CONSTRUCTION DE L’AQUEDUC

De tout temps, la mise en valeur agricole des plaines, depuis le Royans jusqu’à Valence et au-delà, a nécessité l’utilisation de grandes quantités d’eau.

Dès le XVIIème siècle, la famille des seigneurs de Pizançon qui possède d’immenses champs, prairies, pâturages ainsi que des moulins, a déjà réalisé de nombreux ouvrages : canaux, chéneaux, baumes (conduites souterraines).

Au milieu du XVIIIème siècle, les intendants du Dauphiné de la Porte et Pajot de Maréchal s’intéressent à un projet d’envergure : la mise en valeur agricole de la plaine de Valence par le captage des eaux de la Bourne.
Plus d’un siècle de réflexions, d’amorces d’études, de tentatives sera nécessaire pour regrouper les propriétaires fonciers intéressés, avant d’en voir un début de réalisation !

XIXème SIECLE, DE LA REFLEXION A LA REALISATION

Le Premier Empire voit aboutir les premières réflexions sérieuses : une lettre du Ministre de l’Intérieur du 12 novembre 1810 destinée au Préfet de la Drôme, avance déjà l’idée d’un grand canal alimenté par les eaux de l’Isère et la Lyonne.

L’année suivante, Guyton, élève de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, mène des enquêtes de terrain. L’ingénieur du département Lesage en conclut, au cours de l’été 1811, deux impératifs techniques :
– Etablir la prise d’eau du canal principal non pas, comme cela avait été envisagé, au niveau du détroit naturel sous le pont même du village de Saint-Nazaire, mais bien plus en amont, juste en dessous de Pont-en-Royans.
– Envisager la construction d’un pont aqueduc d’au moins 200 mètres de long et plusieurs dizaines de mètres de haut pour franchir la Bourne au niveau même du bourg de Saint-Nazaire-en-Royans.
Le Directeur Général des Ponts et Chaussées estime, dans son rapport du 10 février 1812, que ces options techniques sont beaucoup trop coûteuses (4 millions de francs), du fait notamment de l’aqueduc : le projet est mis en sommeil pour de longues années.

Car, outre le contexte politique de l’époque (chute du Premier Empire), on ne connaît pas encore l’étendue et la qualité exacte des terrains à mettre en valeur dans la plaine de Valence. La réponse sera connue à l’achèvement de l’inventaire cadastral qui commence à peine dans le périmètre concerné.

En 1828 : Un projet en Isère !

Du côté du département voisin de l’Isère, un projet d’irrigation, toujours par les eaux de la Bourne, des territoires d’Auberives, Saint-Just-de-Claix et Saint-Romans voit le jour. Le Préfet de l’Isère répond au Sous-Préfet de Saint-Marcellin qu’il est nécessaire que les propriétaires riverains se regroupent en syndicat. Mais rien ne se fait…

Les années 1840 :

– 1839 : Le Conseil Général de la Drôme relance le projet. Mais il faut d’abord 4 ou 5 ans pour retrouver les études réalisées au début du siècle !

– Août 1846 : l’avant-projet reprend les grandes options de 1811 avec franchissement de la Bourne en aval de Saint-Nazaire par un aqueduc à double niveau d’arches :

Une option « pont suspendu » avec piles en pierres et conduit à coffrage bois pour l’eau est rapidement abandonné.

Le coût initial est estimé à 4 millions de francs. Techniquement, il est prévu que la pierre, au lieu de venir de Crussol, en Ardèche, sera extraite à Saint-Nazaire même, et que les aqueducs prévus en amont, seront remplacés par des tunnels.

Les années 1850 : 

Elles connaissent une forte mobilisation locale pour trouver les financements.

Une commission est chargée de recueillir l’adhésion des propriétaires intéressés par le canal.

Août 1860 : 

Napoléon III reçoit un document : « Notice sur le projet de dérivation des eaux de la Bourne pour l’arrosage des plaines à l’est de Valence ».

Les grandes options techniques sont précisées : souterrains en amont, pont aqueduc sur 259 mètres avec passage de la Bourne sous une seule arche de 19 mètres, deux souterrains en aval de Saint-Nazaire de 48 et 293 mètres.

Le Syndicat provisoire du Canal de la Bourne est créé, les intéressés se réunissent en Société, les registres d’adhésions sont ouverts.

Les années 1860 – 1870 :

Malgré la mobilisation, il faut une douzaine d’années pour que les choses avancent :
Les montages juridiques et financiers entre partenaires publics et privés remettent le dossier en cause.
Des modifications sont envisagées quant au financement (candidature très controversée de la Société concessionnaire du canal du Verdon) et au tracé :

– déplacement du barrage de la prise d’eau au-dessus de Pont-en-Royans

– allongement discutable des canaux pour augmenter la surface irriguée

– remplacement de l’aqueduc par un siphon pour irriguer Saint-Just et Saint-Romans.

Les enquêtes sans résultats et les comités locaux sans autorité ont fini par surexciter les populations qui poussent les élus locaux à trouver une solution rapide et efficace :

– 17 juillet 1872 : l’enquête d’utilité publique est lancée par le Ministre des Travaux Publics.

– 7 mai 1873 : la convention entre l’Etat et le Département de la Drôme est signée.

La Déclaration d’utilité publique est publiée au Journal Officiel, fixant la subvention de l’Etat à 3 millions de francs. La construction peut enfin débuter !

Les travaux de creusement sont menés sans retard. L’idée de l’aqueduc est assez bien acceptée par la population nazairoise.

Le projet d’ensemble, lui, est choisi, avec neuf autres grands chantiers, pour représenter le Ministère des Travaux Publics lors de l’Exposition Universelle de 1878 à Paris. Ce qui, un an avant l’inauguration du canal, renforce l’attrait touristique de Saint-Nazaire, déjà vanté pour le pittoresque de son site.
La construction et son exploitation sont confiées à la Société du Canal de la Bourne. Une convention est signée avec l’Etat (loi du 21 mai 1874).

Les travaux sont réalisés par la société Watel et Ferry pour un coût de 4 millions auxquels s’ajoutent 2 millions pour les canaux secondaires, 200 000 francs pour la dérivation de la Lyonne et 800 000 francs de frais généraux.

Les 7 millions sont apportés :

– pour 2 millions par le capital de la Société (4000 actions de 500 francs),

– pour 3 autres par subvention de l’Etat

– pour les 2 restants par capitalisation de la souscription escomptée des usagers (dans les faits, il faudra avoir recours à l’emprunt pour plusieurs millions…)

La construction:

Printemps 1876 : le terrain est découpé en sections où travaillent 600 ouvriers.

48 km de canal principal et 70 km de secondaires sont à creuser : il faut acheminer 7 m3 par seconde pour irriguer au moins 7000ha de terrain dans la plaine de Valence.

Automne 1876 : sont réalisés : les ¾ des tunnels (2,5 km), 20 ouvrages ordinaires sur les 65, ainsi que le pont aqueduc de Tarze et 4 arches de l’aqueduc de Saint-Nazaire (sur 17).

A Saint-Nazaire, on réoriente des ruelles et chemins sous l’ouvrage. Les réclamations pour dépréciation des biens et insalubrité due au canal ne sont pas suivies : le jugement d’expropriation pour cause d’utilité publique est rendu en juillet 1876.

L’aqueduc est achevé en 1878. Mais les travaux du canal durent jusqu’en 1882.

La grande sécheresse de 1885 met la Société du Canal en grande difficulté : pour résoudre la pénurie d’eau, on envisage de nouvelles dérivations de la Lyonne ou du Cholet et même d’accroître la prise d’eau sur la Bourne, au risque de perturber le fonctionnement des usines installées sur ses berges. Mais le coût -800 000 francs- est trop élevé.

Des critiques s’élevèrent contre les vidanges du barrage en été, les détritus accumulés dans le lac formé par le barrage pourraient causer des fléaux épidémiques… (Référence à l’épidémie de choléra qui sévit à Toulon en 1884).

Enfin, la mobilisation des agriculteurs de la plaine de Valence est un échec : leur adhésion et les souscriptions se font attendre.

La Société tente de créer des prairies modèles (1890). La situation stagne jusqu’après la Première Guerre Mondiale où un début de solution est trouvé avec la mise en place d’une association syndicale.

L’aqueduc trouve un accueil très favorable auprès des « excursionnistes ».

Journaux et dépliants vantent les qualités esthétiques et architecturales d’un monument qui renforce l’identité du site nazairois déjà connu au XVIIème siècle :

L’aqueduc de Saint-Nazaire-en-Royans :

  • longueur : 235 mètres,
  • hauteur : 35 mètres,

construit entre 1876 et 1878 pour amener de l’eau d’irrigation dans la plaine de Valence grâce à un système de canaux de 118 kilomètres.

Toujours en fonction, le Canal de la Bourne débite en moyenne 7 m3/s.

Au pied de l’aqueduc, un musée-archive retrace l’épopée de la construction du canal. Un ascenseur aménagé il y a quelques années contre l’une des piles du pont, un déambulatoire grillagé installé directement sur le cours d’eau, des panneaux d’information et des bornes parlantes permettent à la fois de mieux comprendre l’impact régional de l’ouvrage et de découvrir le vieux village de Saint-Nazaire, les paysages de la vallée de la Bourne et les contreforts du Vercors.

Quand on traverse Saint-Nazaire-en-Royans, il est impossible de ne pas voir l’aqueduc.
D’ailleurs, la route département qui relie Romans-sur-Isère à Grenoble passe dessous…
Du haut de ses 35 m, il enjambe la vallée de la Bourne et permet le passage d’un canal permettent l’irrigation de la plaine de Valence. Il a été construit entre 1873 et 1876.

De l’autre côté, la vue porte jusqu’aux entrées des gorges de la Bourne à Pont-en-Royans sur la droite et de Combe Laval sur la gauche. Tout au long des 235 m de l’aqueduc, on peut alors admirer le paysage… à commencer par les eaux du lac de la Bourne, lac créé artificiellement par la mise en eau d’un barrage hydro-électrique en aval sur l’Isère (la Bourne se jette dans l’Isère à la sortie de Saint-Nazaire-en-Royans).

Jean-Marc Crestey