27/04/2024 – La technique et le problème de sa maîtrise
Nous étions 8 ce samedi réunis autour du thème de la technique et du problème de sa maîtrise. Nous avons commencé en visionnant une vidéo qui mettait en avant différentes questions.
La première que nous n’avons guère abordée était celle du statut de la technique, est-elle un prolongement naturel de notre humanité faisant partie de notre « nature » ou bien est-elle cet artifice qui nous éloigne de la nature avec toutes les conséquences que l’on connaît (rapport consommateur avec le vivant, destruction de la planète, etc.). L’exemple du coureur sud-africain Pistorius qui, bien qu’amputé de ses 2 jambes, peut courir aux jeux para-olympiques montre que les produits de la technique peuvent être des prothèses qui ne font qu’aider nos membres à réaliser leur fonction ou bien aiguiser nos sens (lunettes, prothèses médicales diverses, etc.) et même les outils les plus sophistiqués peuvent sembler de prolongements de nous-mêmes, l’automobile par exemple comme un outil « au bout » de nos pieds. La technique moderne pose la question de la distinction entre outil et corps organique, l’outil ayant été conçu dès le départ comme un prolongement de la main et semblant parfois se confondre avec le corps humain.
Une autre question posée a été celle de la principale fonction de la technique qui a permis à l’homme de ne pas être soumis à la nature et d’imprimer à la matière sa marque. L’homme, grâce à la technique a réussi, dans une certaine mesure, à conquérir sa liberté sur les contraintes naturelles. Cette maîtrise est ce qui a été au centre des réflexions des hommes, l’homme décide, grâce à ses réalisations techniques, du monde dans lequel il va vivre, ce qui s’appelle la liberté. Les Lumières aux 17° et 18° siècles mettent en avant cette liberté conquise par l’homme (Descartes : « l’homme comme maître et possesseur de la nature »), permettant à l’homme ayant dépassé les contingences matérielles de s’élever et de construire une société morale.
Bien entendu ce qui n’avait pas été prévu est ce qui a fait l’objet essentiel de notre débat, la technique s’est, comme la créature de Frankenstein, retourné contre son créateur créant des monstres (la bombe atomique, le bouleversement climatique par exemple) et étant animée d’un développement interne ayant échappé à notre contrôle.
En effet la technique permet de créer un nouvel environnement qui à son tour influe sur nous et nous pousse à vouloir continuer dans cette voie. La société, dominée par la technique exige de plus en plus de technique pour répondre aux problèmes qu’elle pose (la réponse à toutes nos difficultés se trouverait dans la technique –problème des déchets nucléaires, de l’effet de serre, de la pollution atmosphérique, etc.). Tout problème posée par le développement d’une technologie aurait une solution technologique (centrale nucléaire de nouvelle conception, captation du carbone, voiture électrique…). Dans une société technologique il n’existe de solution que technique.
Ainsi donc ce que disait Bergson se confirme, la machine en augmentant la productivité du travail ne produit pas du temps libre consacré à l’enrichissement personnel mais une surproduction incitant à une surconsommation créant les déchets que l’on sait et surtout des vies consacrées à la seule consommation, jamais satisfaite par ailleurs. Les exemples abondent qu’il est inutile de rappeler.
Peut-on sortir de cette spirale infernale ou bien la technique est-elle devenue incontrôlable ? Nos existences sont conditionnées par les modes de vie que la technique a créés. La voiture est trop utilisée mais l’étalement urbain fruit de la démocratisation de la voiture contraint à l’utiliser, les intrants agricoles et les machines ont révolutionné le mode de vie des agriculteurs qui ne peuvent plus revenir en arrière, les outils informatiques ont transformé les méthodes de travail et on ne plus s’en passer, etc. Nos lamentations semblent de peu de poids devant l’aspect inéluctable de ces évolutions et lorsque des dirigeants politiques proposent une autre voie ils se trouvent en butte à des protestations parfois violentes.
Ainsi donc on en revient à l’idée que notre sort est entre nos mains et que les décisions individuelles et collectives peuvent changer le cours des choses. La politique, c’est-à-dire les décisions des citoyens sur la direction que doit prendre la société, est le seul moyen de corriger les dérives de nos sociétés technophiles. Il n’est pas question de se passer de la technique puisqu’elle est consubstantielle à l’homme, comme le dit Platon dans le Protagoras, et qu’elle nous a permis de survivre et même d’améliorer nos existences (médecine par exemple) mais il faut rester vigilant devant les dérives que proposent les délires techniques de certains et les évolutions présentées comme allant dans le sens de l’histoire ou comme nécessaire. Il est toujours possible de mettre fin à des dérives si nous le désirons, du moins il faut l’espérer sinon c’est notre liberté qui est en cause.
Didier Donnadieu